Contrat de travail et perte d'un marché de services.

  • Posté par Hélène le 31 May 2016
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transfert de contrat, pixabay

De plus en plus fréquemment, l'activité des entreprises du tertiaire est tributaire de contrats de prestations à fournir sur une durée déterminée de plusieurs années. En général, ces contrats commerciaux sont stables et sont reconduits avec les mêmes partenaires.

Par exemple : un contrat d'entretien de machines liant une entreprise industrielle et un prestataire spécialisé dans ce type d'entretien, ou un contrat de transport régulier de passagers entre deux lieux.

L'entreprise embauche du personnel pour honorer cette prestation. C'est un emploi permanent puisque cette prestation est prévue pour plusieurs années. Il est donc impossible d'embaucher un CDD.

Mais il arrive que ce contrat de services ne soit pas reconduit et passe à un autre prestataire pour diverses raisons commerciales.

Que doit faire l'entreprise précédemment titulaire de ce contrat avec le personnel qui devient inutile ?
Le reclasser dans la mesure de ses moyens ? Le proposer au prestataire repreneur du contrat commercial ?
 

Le 19 mai 2016, la cour de cassation vient de trancher sur un litige opposant une entreprise de transport de passagers et 22 de ses anciens conducteurs.

Les faits :
La société Aircar avait perdu le marché du transport des passagers la liant à Air France au bénéfice de la société Aéropass. Les sociétés Aircar et Aéropass appartenaient au même groupe et à la même convention collective. Cette dernière (Fédération Nationale des Transports de voyageurs) prévoit, à l'article 2 de l'accord du 4 juillet 2009 (remplaçant les articles 28 et suivant de l'accord du 18 avril 2002 abrogé), la continuité de l'emploi (avec maintien de l'emploi, de l'ancienneté et des conditions de travail) des salariés affectés à un marché faisant l'objet d'un changement de prestataire dès lors que c'est la totalité du marché qui est concernée.

Une clause de mobilité, spécifiant que le contrat de travail pouvait à tout moment être transféré à une société appartenant au même groupe, avait été incluse dans le contrat de travail de ces conducteurs lors de leur embauche par Aircar. Au moment du transfert du contrat commercial, les contrats des conducteurs avaient été transférés d'Aircar à Aéropass sans modifications dans l'organisation de leur travail et avec conservation de leur ancienneté.

Décision de la cour de cassation :
Une clause de mobilité de cette sorte, même quand elle s'inspire de la convention collective, est nulle car le seul cas prévu par la loi d'un transfert automatique, sans avoir à recueillir l'accord du salarié, est celui d'une vente, fusion, transformation du fonds ou mise en société de l'entreprise (article L. 1224-1 du code du travail).

La cause de nullité venait de la formulation de la clause de mobilité ([...] à l'employeur pourra être substitué, à tout moment au cours de l'exécution du contrat, toute personne morale apparentée au même groupe de sociétés). Aircar a cru qu'insérer une telle clause, limitée au strict périmètre du groupe, la dédouanait de toute formalité auprès de ses conducteurs puisque seul changeait le nom de l'employeur. Elle aurait dû impérativement solliciter l'accord de chacun de ses salariés concernés par le transfert de ce marché. D'autant que l'employeur ne respectait pas la convention collective qui prévoyait une obligation d'information des salariés en leur accordant un délai de réflexion de 10 jours pour donner leur accord ou leur refus.
 

Ce qu'il faut en retenir :

Sauf dans le cadre d'un redressement judiciaire où des procédures particulières s'appliquent, l'article L. 1224-1 du code du travail concerne seulement l'entreprise dont l'existence juridique disparaît et renaît sous une nouvelle forme juridique tout en maintenant la même activité économique.
Si le lieu de travail n'est pas modifié et que le changement de nom de l'employeur est la seule modification, le transfert des contrats de travail est automatique. Ce sera le repreneur qui devra résoudre les problèmes de postes en surnombre ou de salariés récalcitrants.
Par exemple : une vente du fonds à un repreneur qui va continuer la même activité.
Si la cession ne concerne qu'une partie de l'entité économique de l'entreprise, il y a d'office une modification du contrat de travail, ne serait-ce que par le fait que cette activité cédée va se dérouler dans un autre lieu puisque l'entreprise cédante va continuer l'exploitation de ses activités restantes. L'accord du salarié lié à l'activité cédée doit être requis.

Quand l'entreprise perd un marché (que celui-ci soit public ou privé n'a pas d'incidence) qui l'oblige à se séparer du personnel employé à l'activité de ce marché, elle se trouve confrontée à des postes de travail en surnombre.

Plusieurs conventions collectives (nettoyage, déchet, sécurité, transport de voyageur, restauration collective, ...) imposent une obligation de reprise de tout ou partie du personnel au repreneur du marché selon les circonstances. Malgré tout, cette obligation n'est jamais automatique et l'accord du salarié doit toujours être demandé avec un délai de réflexion qui peut être inférieur à celui imposé par la loi pour les modifications du contrat.
Parmi ces conventions collectives instaurant cette obligation de transfert (dérogatoire à l'article L. 1224-1), certaines statuent sur le cas du refus du salarié à être transféré et assimilent ce refus à un licenciement personnel. Cette particularité est à utiliser avec précaution car tout dépend des modifications perpétrées par le changement de prestataires.

Si, comme dans le cas de figure que vient de juger la cour de cassation le 19 mai 2016 pour les conducteurs transférés d'Aircar à Aéropass, il n'y a aucun changement dans les conditions de travail sauf de conduire un nouveau véhicule (équivalent ou amélioré par rapport au précédent), le refus d'un conducteur de poursuivre son contrat avec une autre société du groupe peut être assimilé à un licenciement personnel.

Dès lors qu'il y a des modifications dans les conditions de travail, même minimes, pouvant justifier l'aversion de salarié à être transféré, il vaut mieux ne pas utiliser cette facilité conventionnelle.

En cas de refus du salarié, l'entreprise devra lui proposer par tout moyen un reclassement, et, en cas d'échec, procéder à un licenciement économique pour suppression de poste avec impossibilité de reclassement.

Invoquer la seule perte du marché comme motif de licenciement est déconseillé car la jurisprudence ne l'inclut pas dans les motifs économiques valables. Vous pouvez consulter à ce propos l'étude réalisée en 2012 par Maître David Blanc et Maître Hugues Pélissier, avocats au Cabinet Fromont Briens.

Enfin, pour une entreprise perdant un marché de prestations de service et dont la convention collective reste muette à ce sujet, la démarche reste identique : si un nouveau marché ne peut pas remplacer l'ancien, proposer la reprise du personnel lié à cette activité au successeur. Tenter ensuite le reclassement du personnel en surnombre, sinon procéder à un licenciement économique pour suppression de poste sans possibilité de reclassement. Bien sûr, il faudra justifier la suppression du poste en mettant en évidence l'impossibilité de maintenir celui-ci.

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