Bien gérer les trajets domicile-travail variables.

  • Posté par Hélène le 12 October 2015
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Suite à la décision de la cour de justice de l'Union Européenne (CJUE) du 10 septembre 2015, beaucoup de personnes en France, aussi bien du côté des employeurs que du côté des salariés, se posent des questions.

Arrêt n° 266-14.

Situation : une société espagnole d'installation de systèmes de sécurité pour particuliers et professionnels ferme ses établissements secondaires et oblige ses salariés à faire régulièrement plus de 100 kilomètres pour se rendre chez leur premier client du jour, trajet durant parfois jusqu'à 3 heures. Bien sûr, le décompte du temps de travail commençait au moment de l'arrivée chez le premier client et finissait au départ du domicile du dernier client, et ce, sans aucune sorte d'indemnisation compensatoire sauf à leur mettre à disposition un véhicule de fonction d'usage strictement professionnel.

Avant la fermeture des bureaux régionaux, les techniciens se rendaient à ceux-ci pour récupérer le véhicule d'entreprise, le matériel et la feuille de route avec les instructions des heures de rendez-vous et des tâches à accomplir pour la journée. La prise de poste commençait à l'arrivée des salariés à ces bureaux.

Après la fermeture de ces locaux, la société leur a fourni un véhicule et un téléphone portable dont les fonctions permettaient de réceptionner la feuille de route la veille de la journée de travail et de transmettre les résultats des interventions effectuées pendant la journée. Pour le matériel, les techniciens récupéraient celui-ci, en fonction des besoins, dans une agence logistique de transport proche de leur domicile.

Décision des juges : « Les déplacements que les travailleurs sans lieu de travail fixe ou habituel effectuent entre leur domicile et le premier ou le dernier client de la journée constituent du temps de travail. »

Les faits aggravants ayant amené cette décision :

-  La fermeture par décision unilatérale sans concertation préalable avec les salariés concernés par cette mesure ;
-  Le décompte antérieur de la prise de service qui commençait à l'arrivée dans les bureaux régionaux, et qui s'est trouvée reportée à l'arrivée chez le premier client de la journée. Ce qui neutralisait ainsi les premiers et derniers trajets entre les clients et le lieu de prise et de fin de service ;
-  Même si l'emploi de ces salariés ne concernait pas le fait de conduire, cette tâche entrait dans leurs activités professionnelles quand existaient encore les bureaux régionaux ;
- Ces techniciens n'avaient aucune autonomie dans l'organisation et le planning horaire de leurs interventions.
 

La définition d'un salarié itinérant :

C'est un salarié dont la mission l'amène à travailler à l'extérieur de l'entreprise dans des lieux différents d'un jour sur l'autre. Ce peut être des commerciaux visitant les clients, des techniciens d'installation ou de réparation, des coordinateurs de bureaux d'études, des chauffeurs de transports routiers (qui garent leur véhicule professionnel à leur domicile), des formateurs, etc.

 

Que dit le droit français : le trajet entre le domicile et le lieu de travail étant pris en compte dans les 10% des frais professionnels ou l'option des frais réels de l'imposition sur le revenu, la jurisprudence et le droit français excluent ce temps de trajet du temps de travail effectif.

Il est prévu néanmoins quelques cas particuliers :

  • L'article L. 3121-4 du code du travail précise qu'en cas de déplacement inhabituel augmentant la durée habituelle domicile-travail, une contrepartie sous forme de repos ou financière doit exister, par convention ou accord collectif sinon par décision unilatérale de l'employeur. Cette durée n'est pas à prendre en compte dans le calcul des heures supplémentaires et ne s'impute donc pas dans le contingent annuel des heures supplémentaires (cet article du code du travail a été modifié par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005. Avant cette date, ce temps de trajet supplémentaire entrait dans le travail effectif).
  • Quelques conventions collectives ont prévu une compensation. Par exemple, celle de la métallurgie impose une prime de trajet dès lors que le temps de déplacement pour se rendre sur le lieu de l'intervention (mission extérieure à son lieu d'attachement qui l'amène à exécuter son travail dans un autre lieu d'activité et occasionnant une gêne particulière et des frais inhabituels) est supérieur à 1h30 et précise que, par défaut, le point de départ sera le domicile du salarié. Cette prime de trajet (qui est de l'ordre de 50% du salaire horaire multiplié par la durée dépassant les 1h30 pour la convention collective départementale des Bouches du Rhône) est soumise à cotisations.
  • Dans le BTP, quand l'employeur n'impose pas la prise de service au siège de l'entreprise (ou à l'établissement de rattachement), la convention collective a prévu une indemnité de transport domicile-travail si le salarié utilise son propre véhicule pour se rendre directement sur le chantier. Le tarif de cette indemnité est fixé par les conventions collectives régionales selon des zones d'éloignement concentriques entre le siège (ou le l'établissement de rattachement) et le chantier concerné. La limite d'exonération, de charges et d'imposition, de ce tarif est revalorisée tous les ans selon un barème spécifique établi par l'Urssaf (Barème des petits déplacements applicables aux salariés des entreprises de travail temporaire, des travaux publics, du bâtiment, de la tôlerie, de chaudronnerie et de la tuyauterie industrielle).

 

Plusieurs cabinets d'avocats et de juristes commencent à conseiller fortement les entreprises françaises d'anticiper la possible mise en conformité de la France, en passant des accords d'entreprise. En effet, les arrêts de la cour de justice européenne, comme les arrêts de cours de cassation, peuvent influencer, si ce n'est pas prédire, les futures décisions des juges prud'homaux, dès lors que la situation est plus ou moins identique.

Quand l'entreprise n'a pas la structure institutionnelle pour négocier ces accords, il faut que l'employeur soit très vigilant sur les procédures appliquées dans son entreprise si des situations semblables existent ou se présentent.

Apparemment, la société espagnole pensait avoir résolu le problème en fournissant à chacun des techniciens concernés par la fermeture des locaux régionaux un véhicule de fonction. Cette compensation était insuffisante en raison de la rigidité des instructions pour l'organisation des visites, ainsi que de la durée et de l'importance des déplacements consécutifs à ces fermetures.

Même une analyse superficielle mettait en évidence quelle était la partie favorisée dans cette situation. Et c'est ce critère d'équilibre qu'il faut le plus surveiller, avec un avis neutre externe dans la mesure du possible pour être sûr de l'objectivité de la solution adoptée.

Pour plus d'information sur l'articulation entre le droit européen et le droit français dans cette problématique du trajet domicile-travail, voir la publication de mai 2013 du site de la cour de cassassion (rubrique B : durée du travail et rémunérations).

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